Dr Mohamed Nasr était un homme vrai

Dimanche 06 Décembre 2020-00:00:00
' Ida Ghali

Comment parler de Dr Mohamed Nasr en quelques lignes ? C’est tout simplement impossible. Lui qui était tout à la fois : jubilatoire et grave, expansif et silencieux ;  avenant, fonceur mais réservé ; aimable, sensible, courtois mais ferme. Il avait son franc-parler.

Chirurgien cardiaque de renom, mélomane, très cultivé, fin connaisseur de bonne cuisine, et surtout une très bonne fourchette, il suivait toute l’actualité car tout l’intéressait. Il était parfaitement bilingue. Il parlait des choses les plus sérieuses avec désinvolture et des banalités avec un grand sérieux. Un savoir-faire dont il était maître, pour capter l’attention de son auditoire. C’est dans les années 90 que j’ai rencontré Dr Mohamed Nasr pour la première fois. Je commençais à peine ma carrière de journaliste au Progrès Egyptien, lui y venait tous les jeudis après-midi pour écrire son article. Une routine hebdomadaire qui a duré plus de 30 ans. Il écrivait des papiers scientifiques et médicaux. Il était aussi très ami avec feu Khaled Bakir, rédacteur en chef du Progrès à l’époque.

Dr Mohamed Nasr savait scruter, écouter comprendre les personnes. Tout le monde au Progrès l’aimait et le respectait, avant d’arriver dans la salle de rédaction, ou nous attendions sa venue avec impatience, il avait déjà été sollicité maintes fois par tous ceux qu’il croisait sur son passage par hasard ou intentionnellement pour lui demander un avis médical. Il n’hésitait pas à rendre service, à dépanner ou à opérer gratuitement.

Nous attendions le jeudi après-midi avec impatience, pour écouter ses nouvelles aventures, pour jouir de sa présence. Dans chaque mot qu’il disait même à la légère il voulait communiquer quelque chose, nous l'écoutions tantôt perplexes, tantôt étonnés par son savoir, son analyse de l’actualité et son excellente connaissance de l’histoire, et surtout par son franc-parler parfois, ou ses plaisanteries en langage un peu cru.

Quand il forçait un peu la dose et s’oubliait en parlant, Khaled Bakir le rappelait à l’ordre : "Attention ya Mohamed", criait-il de son bureau. Entre les deux outre la très forte amitié qui les liait, il y avait une grande complicité.

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis le jour où j’ai suivi Dr Mohamed Nasr dans le bloc opératoire. Je lui avais demandé de l’accompagner en tant que journaliste pendant une journée sur son lieu de travail. Une requête qu’il a acceptée avec simplicité et enthousiasme. Je revois aujourd’hui en détail cette journée inoubliable que j’ai passée avec lui à ‘Mahed Nasser’ (L’institut des maladies du cœur) où il a travaillé pendant des années et qu’il a ensuite dirigé. Un jour qui sera gravé dans ma mémoire à tout jamais. Ce jour-là, il était égal à lui-même, mi-sérieux mi-rigolard. Mais, une fois dans le bloc opératoire, son visage était très sérieux, très concentré. Ainsi, d’une main ferme, il a scié le thorax du patient avec détermination, puis m’a demandé si je tenais le coup. J’ai fait oui de la tête. Il a alors continué à mettre en place le cœur avec exactitude et à réparer les anomalies, ensuite il a recousu le tout avec satisfaction. Tout cela en silence. En sortant du bloc, il m’a regardée et m’a dit : « Si tu supportes une opération, tu seras capable de couvrir n’importe quelle actualité.» Après un bref repos, il est reparti avec jovialité et bon entrain. Je l’ai suivi en salle de réanimation, il voulait s’assurer que sa patiente allait bien. Il échangea avec elle quelques mots réconfortants. Il est ressorti en trombe pour aller prendre une brève pause déjeuner. ‘Allons m’a-t-il dit, après un rapide repas, on recommence ? » J’étais abasourdie, fatiguée des trois heures de la première opération, déconcertée, dérangée par les odeurs. Mais, sans hésiter ni trop penser à ce que je faisais, je l’ai suivi.

Merci Docteur Nasr de m’avoir offert ce privilège, merci pour toutes ces leçons d’humanisme, merci pour votre témoignage de vie dont j’ai été témoin !

Dr Mohamed Nasr qui savait si bien résumer une journée pénible en quelques phrases, décrire une personne en un mot, exprimer sa colère par un simple geste et sa joie par un éclat de rire, savait aussi dire sa gratitude, son respect avec beaucoup d’émotion. Il savait trouver les mots justes pour rendre hommage à ses amis qui l’avaient précédé vers la demeure éternelle. Ce chirurgien exceptionnel s’en est allé lui aussi. Adieu Professeur !